vendredi 30 mai 2008

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John Cornu : Virus, Photoshop, tatouages et modernisme
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« Faire vivre une idée, c’est au contraire la débattre, la combattre, chercher à tuer certains éléments qui la composent ».
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Boris Cyrulnik, Edgar Morin, Dialogue sur la nature humaine, 2000.
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Depuis 1996, John Cornu pratique un art contextuel, c’est-à-dire inspiré, déduit et constitué de ses cadres de création, d’exposition et de réception. Réactivant avec un langage et des médiums contemporains des problématiques minimalistes et conceptuelles, l’artiste conçoit, dans une dynamique dialogique, des œuvres majoritairement non-transportables puisque attachées aux circonstances singulières de leur exposition (Hic et nunc).Comment expliquer alors les multiples écarts objectaux qui, depuis fin 2006, émaillent la pratique de cet artiste et la « disparité ou hétérogénéité » grandissante de ses productions ?Véritable tournant au sein de sa production ? Nouveau développement au sein d’une pratique qui ne renie en rien son passé et tente simplement d’élargir son champ d’action et d’investigation afin de s’inscrire dans un paysage artistique contemporain plus frais et décomplexé (Mercier, Lamouroux, Marcel, Leblon, Elmgreen et Dragset, etc.) ?Quel est le dessein des prototypes curieux et cocasses qui peuplent désormais l’univers plastique de John Cornu ?
Nourri d’influences aussi diverses que le biomorphisme, les nanotechnologies, le design industriel des années 1950, l’architecture moderniste, la science-fiction, la sociologie ou encore l’actualité politique, les œuvres récentes de John Cornu semblent émerger de son quotidien. Au croisement du ready-made aidé, du design et de l’art, entre bricolage soigné et production déléguée, l’artiste opte pour une perturbation méthodique de toute sorte d’objets ordinaires (chaises, transats, néons, radios, multiprises, vélo, skate board, etc.).Reprenant au profit d’une esthétique virale et clinique, les potentialités offertes par les logiciels d’images, l’artiste opère, en fonction des particularités anatomiques de chacun, une série de modifications (glissement, duplication, prolongation, déformation, greffe, customisation, lifting, etc.) qui mettent à mal leur apparence, leur ergonomie et leur fonction.Offrant une combinaison instable entre féminité et vie active, Zoouuu (2007) est une paire d’escarpins blanc verni et munie de roulettes. J’aime les requins (2007) est un surf carrossé gris métallisé qui, comme atteint d’urticaire, se « requinise » de plusieurs ailerons. Reflets drolatiques de notre société de l’information, les On air (2007), petits postes TSF encastrés dans des coffrages de faux bois, bourgeonnent d’antennes radios comme pour capter tout azimut et simultanément toutes les ondes. Impraticable, le néon en forme de corde de pendu intitulé Saddam (2007) propose, quant à lui, une métaphore de la mort-spectacle et interroge la liberté des médias de tout montrer ainsi que le goût du public de tout voir. Se reposer plus pour travailler moins (2007) est un châssis de transat dont la toile s’épanche et se déplie sur le sol. Moins engagée, Down (2007) est une ampoule néon hélicoïdale qui, échappée de sa douille, se délace sur son socle. Obéissant lui aussi aux lois de la gravité, Rocco (2007) s’écoule mollement hors de son rack néon fracturé et Jack (2008), doté une forme plus intestinale, déverse sur le sol ses intestins de lumière.Œuvres en soi, œuvres autonomes ?Que penser de ces pièces non soclées dont la production ne semble pas dépendre d’une situation, d’un contexte de création spécifique ?L’artiste explique que ses objets, en tant qu’embrayeurs de multiples situations esthétiques « embrayables » au sein de différents contextes de mise en vue, lui offre la possibilité d’aborder d’une manière nouvelle la question de l’ontologie de l’œuvre d’art. Ce n’est en effet qu’une fois réinsérées et placées au sein du scénario de la vie quotidienne que ces « œuvres à situer » le contaminent, le parasitent, l’enrayent pour finalement le (re)donner à voir.D’autres de ses installations in situ empruntent d’ailleurs cette même logique virale. L’intervention lumineuse Phosphènes (Commande Publique, Antony, 2006) propose par exemple, sur la façade de l’un des bâtiments de la résidence universitaire Jean Zay (Antony), une concentration en réseau d’appliques rondes destinées à l’éclairage public. Végétale et organique, l’œuvre envahit le bâtiment attirant alors sur elle tous les regards.Entre racines et crénelages de château fort, Roots, (Galerie Nivet-Carzon, 2007) propose, quant à elle, une digression architecturale géométrique autour d’un coffrage de rampe d’escalier. Hérissée de piquants et déployant ses multiples ramifications sur le sol, cette menuiserie de bois est autant encombrante que discrète puisque peinte de couleur gris pâle comme les murs de la galerie qui l’accueille.Autre digression architecturale remarquable et, cette fois, entièrement déduite de son site de présentation : Plan libre (2007), la greffe de cinq colonnes que l’artiste réalise à la Villa Savoye (Poissy). Œuvrant dans l’espace concret, comme il aurait agi au sein du logiciel Photoshop à l’aide du « Tampon duplicateur », l’artiste imagine un copier-coller aléatoire de faux piliers porteurs au sein du « plan libre » de cette villa-manifeste.A contrario de cette intervention qui occasionne un dérèglement complet des principes architecturaux fonctionnels et modernistes édictés par Le Corbusier, Beauty shots (Galerie Odile Ouizeman, 2007) propose une réorganisation définitive. Réalisée par un tatoueur professionnel, l’œuvre consiste en un tatouage in situ de grains de beauté de façon à instaurer la symétrie parfaite de ces derniers sur le corps d’un modèle.
Auteur d’une oeuvre où le vrai se mélange au faux, l’artiste conçoit un monde curieux et pourtant déduit de lui-même, un monde qui n’a de cesse de se redoubler, un monde ou la fiction se constitue de réalité et réciproquement. Ce métissage du fictif et du réel comme cette confusion des genres entre installation, performance et objet exorcise ainsi certaines de nos croyances, de nos catégories et de nos certitudes.
Emma-Charlotte Gobry-Laurencin

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